Les personnes publiques ont tout latitude d’acheter ou de louer un bien immobilier existant sans recourir à la procédure des marchés publics, en application de l’article L. 2512-5 du Code de la Commande publique (CCP).

Mais il en va autrement s’agissant des ouvrages à construire que la collectivité souhaiterait acheter ou louer, puisqu’il est alors nécessaire de conclure des marchés de travaux dont la personne publique sera maitre d’ouvrage (CCP, articles L.1111-2 et L. 2421-1)

Cependant, il est possible de recourir à la Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (VEFA) qui est un contrat dédié à une opération de construction, par lequel le vendeur transfère immédiatement ses droits sur le sol à l’acquéreur, ainsi que la propriété des constructions existantes en application de l’article 1601-3 du Code Civil.

Une telle procédure n’entre pas dans le champ de la commande publique, elle ne prévoit pas de procédure de mise en concurrence et elle permet un paiement différé, ce qui est prohibé par le Code de la Commande publique (art. L2191-5) ou des paiements partiels définitifs, ce qu’il l’est tout autant (R.2191-26)

Il s’agit donc d’une procédure qui peut être très « attractive » pour les personnes publiques, d’autant que la jurisprudence administrative reconnait depuis longtemps, qu’elles ont la pleine possibilité juridique d’y recourir.

A quelles conditions, peut-on y recourir ?

ZOOM ARRIERE

Il convient de citer l’avis du Conseil d’Etat du 31 janvier 1995 (CE, avis, 31 janvier 1995, n° 356 960) selon lequel le recours au marché public de travaux est obligatoire lorsque cumulativement l’objet de l’opération est la construction même d’un immeuble pour le compte de la personne publique en cause, l’immeuble est entièrement destiné à devenir sa propriété et qu’il a, enfin, été conçu en fonction des besoins propres de la personne publique.

A contrario, lorsque ces trois conditions cumulatives ne sont pas remplies, la VEFA peut être un montage à retenir. D’ailleurs, dans le cadre de l’affaire dont le Conseil d’Etat avait à connaitre, il en déduit que « le recours à la vente en l’état futur d’achèvement est licite pour la réalisation d’un commissariat de police dès lors que sa réalisation ne constitue qu’une partie d’un immeuble destiné pour sa plus grande part à d’autres propriétaires. Il en va ainsi alors même que l’Etat demanderait que soient prises en compte au stade de la conception du bâtiment des spécifications techniques particulières correspondant aux besoins de ses services de police ».

L’appréciation de ces 3 critères est délicate, notamment celui des besoins propres. Selon la définition du Code de la Commande Publique (article L.1111-2 du code de la commande publique) un marché public de travaux « la réalisation, soit la conception et la réalisation par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ».

De fait, le juge administratif sanctionne régulièrement le recours à la VEFA lorsque la collectivité interfère dans la conception des ouvrages et/ou modifie trop fortement la conception initialement retenue pour les ouvrages.

Il est à noter, d’ailleurs, que la qualification ou la requalification en marché public de travaux de la VEFA n’implique pas toujours l’obligation d’effectuer des mesures de publicité et de mise en concurrence.

En effet, en vertu de l’article R.2122-3, alinéa 2 du Code de la Commande publique, la VEFA peut tout à fait être un marché public, conclu de gré à gré, ayant pour objet l’acquisition d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire, ainsi que la réalisation de travaux répondant aux besoins de l’acheteur et qui ont donc été définis celui-ci dans le cas où ces travaux ne peuvent être réalisés que par l’opérateur en charge de l’ensemble immobilier, dont la partie minoritaire destinée à la personne publique est indissociable.

En effet, cet « opérateur déterminé » est alors le seul capable de réaliser ces travaux ce qui justifie alors la conclusion d’un marché directement avec cet opérateur.

ZOOM AVANT

La jurisprudence européenne, très fournie sur ce sujet, évoque régulièrement la notion « d’influence déterminante de la personne publique sur la conception de l’ouvrage », comme le concept-clef de la distinction entre VEFA et marché public.

Or, très récemment et pour la première fois, la jurisprudence nationale a repris la jurisprudence de la CJUE dans une décision du Conseil d’Etat ( CE, 3 avril 2024, n°472476, Centre hospitalier Alpes-Isère) qui vient donc apporter les précisions suivantes « le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux (…) lorsqu’il résulte des stipulations du contrat qu’il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages. Tel est le cas lorsqu’il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur ».

Cette lecture doit conduire les acheteurs à être très prudents sur leur demande formulée à l’endroit des bailleurs ou des vendeurs, notamment s’agissant des aménagements intérieurs.

Certains auteurs suggèrent même que, pour diminuer le risque de requalification, les aménagements intérieurs soient systématiquement exclus du contrat de BFA ou de VEFA, l’acheteur passant alors des marchés publics à cet effet, une fois l’immeuble cédé ou mis à disposition.

Une telle solution présente néanmoins des inconvénients puisque le locataire ne peut plus influencer les choix faits initialement afin que le bien immobilier loué ou vendu corresponde parfaitement à ses besoins, les délais prévus pour la mise en service et ou l’entrée dans les lieux se trouvant également rallongés.

Conseil du cabinet :

Il est important pour la personne publique qui souhaite réaliser une VEFA ou BEFA, au vu de l’importance financière de tels projets et des possibilités de recours des tiers (maitres d’œuvre ou entreprises de BTP), de faire expertiser le montage prévu par un avocat : le Cabinet VEAUVY se tient à la disposition de ses clients, tout comme des promoteurs souhaitant travailler avec les personnes publiques dans ce cadre.

Rubriques mensuelles

Marchés publics

Une responsabilité du mandataire limitée

Le Code de la Commande publique prévoit dans son article L.2422-5 que le maître d’ouvrage public peut confier à un mandataire l’exercice en son nom et pour son compte de tout ou partie de ses attributions qui inclut les 6 phases du suivi d’une opération de construction d’un ouvrage allant de la définition des conditions administratives et techniques de réalisation jusqu’à la réception de l’ouvrage. Les articles L.2422-7 à 11 décrivent à la suite le contenu d’un contrat de mandat de même que les obligations et responsabilités du mandataire.

C’est dans ce cadre législatif, que le Conseil d’Etat, dans une décision du 21 mai 2024 n° 490688, GTM GUADELOUPE vient de se prononcer sur les responsabilités respectives du mandataire et du mandant s’agissant du règlement d’un sous-traitant ayant droit au paiement direct.

Il rappelle sa jurisprudence antérieure (CE, 26 sept. 2016, n°390515, Dumez) selon laquelle : « pour la réparation des fautes du mandataire du maître d’ouvrage dans l’exercice de ses missions confiées par la convention de mandat, les constructeurs ont :

    • pour seule possibilité d’engager une action à l’encontre du maître d’ouvrage, dès lors que le mandataire signe les marchés de travaux au nom et pour le compte du maître d’ouvrage. Il revient par la suite au maître d’ouvrage d’appeler en garantie son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qu’il a conclu avec lui ;
    • ne peuvent par ailleurs se fonder sur la responsabilité quasi-délictuelle du mandataire que si les fautes invoquées ont été commises en dehors du champ du contrat de mandat ».

 Ainsi, la décision du Conseil d’Etat du 18 septembre 2019 (CE, 18 sept. 2019, n° 425716, Semsamar) reconnaissant la responsabilité d’un mandataire pour le paiement direct d’un sous-traitant semble être isolée et ne concerner donc, si elle devait se maintenir, que ce cas très spécifique.

Conseil du cabinet :

Il est important d’avoir à l’esprit que la désignation d’un mandataire, sauf cas particulier n’exonère pas le maître d’ouvrage de sa responsabilité.

Fonction Publique

Le préjudice né d’un licenciement illégal ne s’étend pas aux charges liées à l’exercice effectif de la mission

Le Conseil d’Etat a rappelé dans sa décision du 24 avril 2024, n° 476373, Centre hospitalier Robert Ballanger, que la prise en compte des préjudices subis du fait d’un licenciement illégal ne pouvait pas intégrer des charges qui sont indissociablement liées à l’exercice effectif de la mission.

Dans l’affaire en cause, une Directrice adjointe d’un centre hospitalier irrégulièrement évincée, demandait à bénéficier de l’indemnité compensatrice de logement auquel elle aurait eu effectivement droit si elle avait exercé ses fonctions.

Or, il a été jugé que « l’indemnité compensatrice de logement, dont l’attribution est conditionnée à ce que le bénéficiaire occupe un logement dont la localisation est compatible avec la mise en œuvre de ses obligations de gardes, est seulement destinée à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions ».

Le Conseil d’Etat fait application d’une jurisprudence constante qui exclut de l’indemnisation les sommes liées à l’exercice effectif des fonctions ; à ce titre, il en sera donc de même de la nouvelle bonification indiciaire (NBI).

Conseil du cabinet :

En cas de contentieux comme en cas de recherche d’une solution négociée, il faut bien distinguer les préjudices liés au licenciement des charges indissociablement liées à l’exercice effectif de la mission.

Fonction publique

Le fonctionnaire poursuivi disciplinairement doit être informé du droit qu’il a de se taire

Par une décision 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, le Conseil constitutionnel avait étendu pour la première fois le droit de se taire découlant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, à une personne mise en cause, non dans le cadre d’une procédure pénale, mais dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

Il a jugé en effet que le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, s’applique aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Jusqu’ici, le Conseil d’État avait considéré que le droit de se taire avait seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale (Conseil d’État, 23 juin 2023, n°473249).

Dans un arrêt n° 22PA03578 du 2 avril 2024, la Cour Administrative  de Paris s’est prononcée pour la première fois sur ce droit dans le cadre d’une procédure disciplinaire applicable à la fonction publique, jugeant que le fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.

Conseil du cabinet :

La jurisprudence ne précisant pas à quel moment de la procédure disciplinaire cette notification doit intervenir, il est préférable d’indiquer à l’agent, a minima, qu’il dispose de ce droit dans le courrier de convocation devant le conseil de discipline ou, s’agissant d’une sanction du premier groupe, dans le courrier de convocation à l’entretien disciplinaire.

Responsabilité du gestionnaire public

Toute la chaine des acteurs peut être rendu responsable

L’adjoint du payeur départemental de l’Eure et le directeur adjoint des finances du conseil en gestion et de la performance du département de l’Eure ont été renvoyés devant la Cour des Comptes au titre de l’infraction prévue à l’article L. 131-9 du code des juridictions financières, à savoir l’infraction aux règles relatives à l’exécution des dépenses constitutive d’une faute grave ayant entraîné un préjudice financier significatif pour la collectivité concernée.

Dans un arrêt du 3 mai 2024, n° S-2024-0715, Département de l’Eure, la Cour a retenu contre ces deux personnes, une série de négligences ayant entrainé une perte financière de près de 800 000 euros pour la collectivité au bénéfice d’un escroc qui avait adressé des faux messages aux deux entités en se prévalant de représenter la société d’affacturage d’une entreprise bénéficiant d’un marché public de la collectivité.

La Cour retient des incohérences dans les pièces justificatives, une non-conformité de l’attestation d’affacturage.

La Cour indique par exemple que « L’attention de M. X aurait dû être appelée par l’absence, dans la mention subrogatoire des cinq factures, du numéro de téléphone de l’affactureur supposé ainsi que de la mention « elle devra être avisée de toute demande de renseignements ou réclamation » requise par l’annexe F de l’annexe I du CGCT à laquelle renvoie l’article D. 1617-19 du même code, disposition rappelée tant par l’instruction GCP 16-0008 que par le kit « Vigilance » ».

Mais elle relève également que « Constituent des circonstances atténuantes pour M. X les défaillances dans l’organisation du poste comptable, en particulier le non-respect des principes de contrôle interne. Ces difficultés organisationnelles, en période de congé, ont pu contribuer aux erreurs commises par M.X ».

Elle fixe une amende de 2500 euros pour chacun des deux agents concernés, à savoir l’adjoint au directeur des affaires financières et l’adjoint au payeur général, pour des faits qui se sont produits durant l’été, alors que leur supérieur hiérarchique était en vacances.

Conseil du cabinet :

Chacun des acteurs de la chaîne d’exécution des opérations de dépenses et recettes peut être rendu responsable des infractions financières susceptibles d’être sanctionnées par la Cour des comptes. Comme déjà indiqué dans la newsletter du 26 janvier 2024, il est nécessaire de mettre en place au sein des collectivités territoriales, un véritable système de détection des tentatives d’escroquerie, y compris en période estivale.

Urbanisme

Le permis modificatif délivré après un sursis à statuer peut être assorti de prescriptions spéciales.

L’autorité administrative peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions à condition que celles-ci ne portent que sur des points précis et limités ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet (CE, sect., 13 mars 2015, n° 358677 ).

Dans une décision du CE du 19 avr. 2024, n° 471275, la Haute Juridiction reconnaît implicitement cette possibilité dans le cas d’un permis de construire modificatif délivré dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le juge pour permettre la régularisation de l’autorisation initiale sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Il est rappelé que le Tribunal administratif saisi doit alors rechercher si ces prescriptions spéciales complétant celles déjà prévues par l’arrêté de permis de construire initial délivré ne sont pas de nature à en assurer la légalité du permis de construire attaqué au regard, notamment, du plan d’exposition au risque qui constitue une servitude d’utilité publique et donc de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme (voir à ce titre, jurisprudence Commune de Fondettes (CE, 04/05/2011, n°321357)).

Ecrit par Maître Hubert Veauvy

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