Depuis 2013 [1], lorsque la procédure de délivrance d’un permis de construire est suspectée d’illégalité, le juge administratif peut décider de suspendre la procédure pour donner un délai au pétitionnaire et à la commune afin qu’ils régularisent le permis en vertu de l’article L.600-1-5 du code de l’urbanisme.

Cette faculté est réservée au juge du fond : il n’est donc pas possible de demander au juge des référés, saisi d’un référé suspension d’en faire usage (CE, 22 mai 2015, SCI Paolina, n°385183).

Des jurisprudences récentes sont intervenues.

Elles permettent de préciser davantage les étapes que doivent avoir en tête l’administration et le pétitionnaire s’ils souhaitent bénéficier d’une telle faculté.

Etape n°1 : en défense, au fond, rappeler au juge administratif l’obligation, sauf exception, de recourir à ce dispositif

Le champ d’application de ce dispositif a été récemment élargi.

Désormais « un vice (..) est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme (…) permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CE, avis, 2 octobre 2020, n° 438318)

Dans les conclusions prises sous cet arrêt, le rapporteur public donne des exemples qui rentrent selon lui dans cette définition : projet surélevé d’un étage, passant de 40 à 27 logements et supprimant les locaux commerciaux initialement prévus, modification d’une quinzaine de mètres de l’implantation d’une porcherie tout en restant sur la même parcelle, projet dont le recul par rapport à la voie publique passe de 11 à 6 mètres etc.

La mesure de régularisation prise peut, le cas échéant, prendre la forme d’une dérogation aux règles d’urbanisme applicables (CE, 17 décembre 2020 n°432561)

Il en résulte que l’article L.600-1-5 est susceptible de s’appliquer dans un nombre très important de situations.

De surcroît, il résulte de la loi que le juge administratif est contraint d’appliquer cette procédures si les conditions sont remplies, sauf à ce qu’une annulation partielle sur le fondement de l’article L.600-5 du code de l’urbanisme puisse être ordonnée, soit dans le cas où l’illégalité n’affecte qu’une partie du projet(CE, 5 août 2020, M.E c/ Commune de Donville-les-Bains, n° 427553).

Dans ces conditions, dans les conclusions en défense, il peut être utile d’indiquer systématiquement que, dans le cas où un vice entraîne l’illégalité du permis de construire, le juge administratif devra faire usage de l’article L.600-1-5 du code de l’urbanisme.

Etape n°2 : le cas échéant, engager une procédure de modification ou de révision des documents d’urbanisme pour régulariser l’autorisation d’urbanisme accordée

L’administration défenderesse peut également choisir d’engager une procédure de modification ou de révision de documents d’urbanisme pour régulariser l’autorisation d’urbanisme accordée (CE 3 juin 2020, Société Alexandra, n° 420736), cette possibilité ne valant pas pour les moyens de procédure [2].

Il conviendra, alors, d’engager la procédure de modification ou de révision suffisamment tôt pour qu’elle puisse entrer en vigueur avant que le juge ne statue définitivement.

Etape n°3 : répondre à la demande, faite par le juge aux parties, de présenter leurs observations

Avant d’appliquer, dans le jugement avant dire droit, l’article L.600-1-5, le juge administratif devra en avertir les parties et leur demander de présenter leurs observations (CE 17 mars 2021 Mme C…, req. n° 436073).

L’application par le juge de l’article L.600-1-5 ne nécessite pas l’accord du bénéficiaire du permis, mais nécessite, à tout le moins, qu’il ne s’y oppose pas.

Le juge conserve toujours la possibilité de préférer l’annulation partielle à la mesure de régularisation si les conditions de l’article L.600-5 sont réunies : dans ce cas, il n’a pas à solliciter les observations des parties.

Etape n°4 : instruire la ou les mesures de régularisation demandées par le juge

Le pétitionnaire devra procéder aux mesures de régularisation figurant dans le jugement avant dire droit et, pour ce faire, déposer auprès de l’autorité compétente une demande de permis de régularisation.

Ce permis de régularisation pourra, en application de l’avis du Conseil d’Etat du 2 octobre 2020, bouleverser l’économie général du projet et ne pas respecter, de ce fait, les conditions habituelles du permis de construire modificatif.

Etape n°5 : délivrer un permis de régularisation

Pour que le dispositif de l’article L.600-1-5 soit mis en œuvre, l’autorité compétente devra accorder ce permis de régularisation.

Si le permis de régularisation est refusé par l’autorité compétente, le juge devra annuler le permis initial. Le pétitionnaire sera contraint d’introduire une requête distincte contre le refus de la commune d’autoriser son projet (CE, 9 novembre 2021, Société civile de construction vente Lucien Viseur, n° 440028).

Etape n°6 : produire, devant le juge, le permis de régularisation accordé

Il est nécessaire, ensuite, de produire, dès que possible, devant le juge, ce permis de régularisation.

Pour effectuer cette démarche, il n’est même pas besoin d’attendre que le jugement avant dire droit ait été rendu : il est possible de produire spontanément ce permis de régularisation dès que le juge a invité les parties à présenter leurs observations en indiquant qu’il va faire usage de l’article L.600-1-5 (CE, 6 avril 2018, n° 402714).

La production de ce permis de régularisation aura pour effet, au sein de la même instance, de rouvrir le débat contentieux à l’encontre des seuls aspects sur lesquels le permis initial aura été modifié (Avis contentieux Batimolo du 18 juin 2014 n°376760 et article L.600-5-2 du code de l’urbanisme).

Il en est ainsi même dans le cas où les requérants ont interjeté appel à l’encontre du jugement avant dire droit (CE 5 février 2021, n°430990).

Encore plus récemment, le Conseil d’Etat précise que « les parties peuvent, à l’appui de la contestation de l’acte de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu’il n’a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Elles ne peuvent en revanche soulever aucun autre moyen, qu’il s’agisse d’un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l’exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation ». (CE 16 février 2022, Association « Eoliennes s’en nait trop » n°420554)

Pour contester, dans ce cadre, le permis de régularisation, le requérant n’aura pas à notifier son recours au bénéficiaire du permis de construire, comme l’exige, en principe, l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme (CE, 1ère – 4ème chambres réunies, 28/05/2021, 437429).

Il est nécessaire que ce permis de régularisation soit transmis au juge.

Dans une affaire tranchée par la Cour Administrative d’Appel de Lyon (CAA Lyon, n°9LY03706 2 avril 2020), le pétitionnaire et la commune s’étaient bornés à communiquer le permis de construire modificatif aux requérants, par courrier avec accusé de réception : dans ce cas, la procédure fixée par l’article L.600-1-5 n’ayant pas été respectée, le juge d’appel a considéré que les requérants pouvaient contester le permis modificatif par un recours distinct.

Les mesures de régularisation effectuées devront être prises en compte par le juge même si elles interviennent et si elles sont adressées au juge après l’expiration du délai accordé par le juge.

Par un arrêt du 16 février 2022, Association « Eoliennes s’en nait trop » n°420554, le Conseil d’Etat a confirmé, sur ce point, la jurisprudence (voir, not. CAA Bordeaux, 15 novembre 2018, n°16BX03080).

Par ailleurs, dans le même arrêt du 16 février 2022, il est indiqué que les requérants parties à l’instance sont recevables à contester la mesure de régularisation sans condition de délai tant que le juge n’a pas tranché sur le fond.

Etape n°7 : Les possibilités offertes au juge du fond

Dans son deuxième jugement, le juge du fond peut :

  • Soit valider le permis de construire initial si la mesure de régularisation obtenue a eu pour effet de régulariser le vice que le juge avait constaté dans sa décision avant dire droit ;
  • Soit annuler le permis de construire dans le cas contraire.

Récemment, la Haute Juridiction a considéré que n’était pas une partie perdante le requérant qui perd son procès uniquement parce que les griefs qu’il soulevait, et qui étaient fondés ab initio, ont été légalement régularisés avant la fin du procès par la mesure de régularisation fixée par le juge (CE 17 mars 2021 n°436073).

Les frais irrépétibles ne sont donc pas obligatoirement à sa charge.

Etape n°8 : les conséquences d’un éventuel appel

Dans le cas où un appel est interjeté à l’encontre du jugement avant dire droit, les conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu’il a mis en œuvre les pouvoirs de l’article L.600-1-5 deviennent sans objet à compter de la mesure de régularisation (CE 5 février 2021, n°430990).

Par ailleurs, l’annulation, par le juge d’appel, du jugement avant dire droit entraine par voie de conséquence l’annulation du second jugement (avis du Conseil d’Etat du 25 septembre 2020 n° 432511).

En effet, « les motifs de ce premier jugement qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l’instance, si ce second jugement rejette les conclusions à fin d’annulation en retenant que le vice relevé dans le premier jugement a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d’une mesure de régularisation »

Depuis 2 ans, la jurisprudence a donc apporté de nombreuses précisions à l’application de ce régime dont il est utile qu’elles soient prises en compte par le pétitionnaire, les riverains et l’administration.

1 Cette faculté est prévue par l’article L. 600-1-5 du Code de l’urbanisme créé par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 et modifié par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « loi ELAN »,

2 Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat considère en effet qu’à l’exception des vices de procédure dont, le caractère régularisable est apprécié à la date à laquelle le juge statue, le caractère régularisable du vice est apprécié au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle le juge statue.

Ecrit par Maître Hubert Veauvy

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