La responsabilité du gestionnaire public : Une première décision d’appel
Présentation
Cette newsletter qui sera adressée mensuellement a vocation à créer une vraie communauté entre le Cabinet et ses clients autour d’un partage de connaissances de l’actualité juridique qui les concerne.
Le Cabinet entend ainsi rappeler qu’il se tient à leur écoute sur toute question juridique opérationnelle et disponible pour tout éclairage indispensable à la sécurisation de l’ensemble de leurs dispositifs juridiques réglementaires ou contractuels.
Sujet du mois : La responsabilité du gestionnaire public : Une première décision d’appel
Dans cet article, nous n’évoquerons pas les cas de gestion de fait ou d’inapplication des décisions de justice qui sont déjà bien connus, mais l’instauration d’un régime modifié d’engagement de la responsabilité des ordonnateurs qui fait courir un risque d’engagement de la responsabilité personnelle des agents publics et notamment des agents des collectivités locales.
ZOOM ARRIERE
L’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 est venue instaurer un régime unifié d’engagement de la responsabilité des ordonnateurs et des comptables à compter du 1er janvier 2023 qui a un impact important sur les collectivités territoriales. Un an plus tard, on compte déjà 7 décisions de première instance prises sur son fondement et tout dernièrement une première décision d’appel. (C.cptes, 11 mai 2023, Alpexpo;12 mai 2023, Syndicat mixte du parc routier de la Réunion,31 mai 2023, Cne d’Ajaccio;10 juillet 2023, Centre hospitalier Sainte Marie; 20 octobre 2023 Régie régionale des Landes; 24 novembre 2023, Caisse de crédit municipal de Bordeaux; 11 décembre 2023, Centre hospitalier de Montdidier-Roye)
Pour un panorama complet de cette réforme, on pourra se reporter à la présentation de la Direction générale des Finances publiques.
Concentrons nous sur une disposition de cette réforme : il s’agit de l’article L.131-9 du Code des juridictions financières, selon lequel tout justiciable, qui par une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion de biens de l’État, des collectivités ,établissements et organismes mentionnés, commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible de sanctions ».
Les justiciables dont il est question sont tous les agents des services publics quel que soit leur statut, et concernent donc nécessairement les personnels travaillant aux services finances des collectivités territoriales. Ajoutons également que tous les organismes dont le contrôle relève de la Cour des Comptes ou des Chambres régionales sont concernés.
Cette disposition peut concerner tous les cas dans lesquels l’agent public aura exécuté une dépense sans que les règles liées à la régularité de ces dépenses aient été appliquées. On peut penser par exemple à l’absence de service fait, l’absence de fondement juridique de la dépense ou à l’incompétence de l’agent qui n’aurait pas reçu délégation de signature.
Il doit être souligné que l’intentionnalité de la faute n’est pas requise : il n’est pas nécessaire de démontrer que l’agent a eu un intérêt quelconque à commettre l’infraction : la simple négligence peut donc suffire à caractériser l’infraction.
Les notions de faute grave et de préjudice financier significatif ne sont pas davantage précisées dans les décrets d’application de l’ordonnance, laquelle précise simplement que « le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable ».
C’est pour ce motif, qu’il convient d’examiner avec attention la jurisprudence rendue sur ce fondement, aux termes de laquelle la sanction encourue peut aller de 150 euros à un an de salaire. Eu égard au nombre de mandats émis par les collectivités, il existe donc un vrai risque de commission de cette infraction notamment lorsque les règles applicables sont interprétables ou complexes .
On peut penser à la matière des marchés publics et en particulier aux questions de computation des seuils ou en matière de fonction publique s’agissant du contrôle des conditions d’octroi de la nouvelle bonification indiciaire (NBI).
ZOOM AVANT
Le 12 janvier 2024, la Cour d’appel financière de la Cour des Comptes a jugé en appel pour la première fois, une décision de la Chambre du contentieux faisant application de la réforme du gestionnaire applicable depuis le 1er janvier 2023 (CAF, 1e ch., 12 janvier 2024, Alpexpo, n° 2024-01 (aff. CAF-2023-01)).
Outre les questions de rétroactivité des dispositions législatives nouvelles sur des faits antérieurs à 2023 et caractérisés comme des avantages à soi-même, les enjeux de cette décision d’appel étaient importants pour préciser les notions du préjudice financier et de la faute grave de gestion.
Il s’agissait tout d’abord de savoir si ces deux conditions étaient réellement cumulatives. En effet dans une décision de novembre 2023 (Cour des comptes, 24 novembre 2023, Caisse de crédit municipal de Bordeaux n° S-2023-1382) ,la Cour des comptes avait précisé que l’importance de l’ enjeu financier peut servir à qualifier la gravité de la faute grave alors qu’à la lecture de l’article L131-9 du Code des juridictions financières précité, il pouvait sembler qu’il s’agissait de deux critères distincts.
Or, si la décision d’appel n’apporte pas d’éclairage sur ce point, elle renseigne en revanche sur les modalités de détermination du préjudice financier.
C’est ainsi que s’agissant d’un préjudice qui aurait trouvé son origine dans le non-respect des règles de la commande publique, le juge indique que « l’ordre de grandeur de ce préjudice doit être évalué avec une précision suffisante pour pouvoir ensuite être apprécié au regard des éléments financiers de l’entité ou du service concerné. A cet égard, et en premier lieu, le ministère public n’établit pas, en se bornant à énumérer le montant des dépenses afférentes « aux contrats passés en méconnaissance des règles de la commande publique », que ces dépenses auraient pu être moindres – dans des proportions qu’au demeurant, il ne précise pas – si ces règles avaient été respectées.»
Il en ressort qu’il sera nécessaire, en matière de marché public, par exemple pour prouver l’infraction, de déterminer les surcoûts induits par l’absence de mise en concurrence, ce qui peut s’avérer délicat, mais pas impossible, en se référant, par exemple, à des prix unitaires obtenus pour des prestations de même nature dans le cadre d’un marché conclu selon une mise en concurrence adéquate.
Ensuite, il convenait d’obtenir des précisions sur le contenu de la notion de préjudice significatif. Sur ce point, les éléments financiers de l’affaire jugée ne permettaient guère de s’approcher finement de cette question, puisque le juge a logiquement considéré qu’une faute de gestion conduisant à une dépense non due d’un montant de 15 000 euros ne pouvait être considérée comme significative s’agissant d’une entité qui était dotée d’un budget de plus de 6 millions d’euros.
Rappelons qu’à la suite de cette décision d’appel, le Conseil d’État peut être saisi d’un recours en cassation.
Recommandations
Cette réforme est une incitation à mettre en place au sein des collectivités territoriales, un véritable système de veille des risques juridiques, à l’instar du vieux principe de bonne utilisation des deniers publics. Au vu de la complexité des règles que les collectivités ont à maitriser, il est important de prioriser les actions de contrôle et d’en assurer le bon aboutissement avec l’écriture de procédures comprises de tous. C’est une vraie démarche volontariste qui est attendue afin de sécuriser les pratiques et rassurer les élus sur la qualité de la chaine financière.
Dans ce domaine, le Cabinet peut vous apporter son expertise et ses conseils
Rubriques mensuelles
Commande publique et droit de la construction
La reconnaissance d’un devoir de conseil plus étendu du maître d’œuvre
L’engagement de la responsabilité du maître d’œuvre au titre de son devoir de conseil constitue un principe admis depuis longtemps par le juge administratif (CE, 15 décembre 1965, ministre de la Construction c. Société générale d’études techniques et industrielles et autres, n°64753).
Dans un arrêt du 10 déc. 2020, n° 432783 portant sur le respect de la réglementation acoustique, le Conseil d’Etat avait déjà considéré que ce devoir de conseil impliquait que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage
Dans sa décision du 22 décembre 2023 (472699), le Conseil d’état a fait mémoire de cette jurisprudence, et étend sa portée en indiquant que ce devoir de conseil implique plus largement qu’il signale au maître d’ouvrage lors des opérations de réception, toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à leur mise en conformité.
Conseil du cabinet :
Cette jurisprudence est bienvenue pour les collectivités et organismes publics, maîtres d’ouvrage qui sont réputées non sachants, alors que les normes de construction sont de plus en plus prégnantes. Il est donc utile que cette responsabilité contractuelle soit étendue
Afin réduire le risque de contentieux avec un maitre d’œuvre sur cet aspect de sa responsabilité contractuelle, il est conseillé d’ajouter cette reconnaissance de responsabilité de façon expresse dans le marché de maîtrise d’œuvre.
Fonction publique
Des précisions sur le droit à communication des attestations de témoins
Dans un arrêt du 22 décembre 2023, N° 462455 d’une part,le Conseil d’État précise les contours du droit à communication par un agent des attestations de témoins ayant servi de fondement à une enquête administrative ou une inspection administrative à un agent.
La jurisprudence antérieure indiquait que ces attestations pouvaient être communiquées sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.
Cette condition semble désormais plus largement entendue : il suffit désormais que la communication d’un témoignage comporte un risque avéré de préjudice pour son auteur, ce risque étant apprécié au regard de la situation particulière du témoin vis-à-vis de l’agent public mis en cause, sans préjudice de la protection fonctionnelle accordée à certaines catégories de témoins par la loi.
Il appartiendra au juge d’apprécier, au vu de l’ensemble des éléments qui ont été communiqués à l’agent, si celui-ci a été privé de la garantie d’assurer utilement sa défense.
Les dossiers de sanctions disciplinaires doivent être établis avec le plus grand soin. L’administration devra se préparer à justifier de l’anonymisation face aux requérants qui feront valoir qu’ils ont été privés de la faculté d’intenter un recours selon les précisions apportées.
Domaine public
Convention d’occupation du domaine public : vigilance pour garantir la compétence du maire
La décision du Conseil d’État du 21 décembre 2023 (471189) applique les règles du code général des collectivités territoriales se rapportant aux compétences respectives du maire et du conseil municipal en matière d’occupation domaniale. Ainsi, si le maire dispose d’un pouvoir propre, reconnu expressément par les textes et notamment par l’article (R.2241-1 du code général des collectivités territoriales, pour accorder les autorisations unilatérales d’occupation du domaine (et les retirer…) , il ne peut en revanche signer de conventions d’occupation du domaine public sans avoir, au préalable, reçu délégation du conseil municipal, cette délégation étant possible pour les seules conventions d’occupation du domaine public inférieures à 12 ans.
Conseil du cabinet :
Les compétences respectives du maire et du conseil municipal doivent être respectées, les conséquences d’une incompétence, en cas de contentieux, risquant d’être implacables. En effet, la compétence est un moyen d’ordre public que le juge peut soulever de son propre chef, même si les parties n’en n’ont pas fait état. L’annulation de l’acte sera alors certaine. Il convient donc d’être très attentif à veiller, en ce domaine, comme dans les autres, au respect de la répartition des compétences. Ne doivent pas être confondues les compétences que le maire peut disposer au titre de ses pouvoirs propres des compétences dont il dispose parce qu’elles lui auront été déléguées par le conseil municipal et dont il devra lui rendre compte régulièrement. A noter que les délégations du conseil municipal au maire peuvent ne pas être totales (mise en place de conditions ou de seuils financiers) et qu’elle peuvent être tout à fait modifiées en cours de mandat.
Urbanisme
Des précisions sur la modification de la demande de permis de construire en cours d’instruction
Par une décision du 1er décembre 2023, n° 448905, le Conseil d’État reconnaît, dans le silence du code de l’urbanisme sur ce point, qu’il est tout à fait possible pour le pétitionnaire d’apporter des modifications à son projet au cours de l’instruction de sa demande de permis de construire.
Néanmoins, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent, le Conseil d’Etat précise que l’autorité compétente doit :
- En informer par tout moyen le pétitionnaire avant la date de la décision tacite,
- Lui indiquer la nouvelle date à compter de laquelle la demande modifiée sera réputée acceptée.
- Indiquer, le cas échéant, au demandeur dans le délai requis les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet modifié.
Conseil du cabinet :
Les services d’urbanisme devront être vigilantes, dans le cas où un pétitionnaire modifie sa demande en cours d’instruction, pour vérifier que ces modifications sont mineures et qu’elles ne nécessitent pas une prorogation du délai d’instruction.
Si tel était le cas, elles devront immédiatement informer le pétitionnaire de la nouvelle date d’acceptation tacite. Une telle démarche est essentielle pour éviter toute acceptation tacite de la demande de permis de construire. En effet, en matière de délivrance d’autorisation d’urbanisme, le silence vaut acceptation.
Ecrit par Maître Hubert Veauvy
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